Appelé de dernière minute pour Paris-Tours : le début d’une folle semaine
Je ne voulais pas imposer quoi que ce soit à l’équipe pour la fin de ma carrière. Si, juste une chose : finir au Chrono des Nations aux Herbiers. Mais avant cela, ne surtout pas prendre la place de qui que ce soit, où que ce soit. Laisser libre la direction sportive de me faire courir où on avait besoin de moi, et de ne pas me faire courir là où il y avait plus fort et/ou plus utile que moi. Dès lors plusieurs scenarii potentiels existaient : accompagner Arnaud Démare sur Paris-Tours, accompagner Thibaut Pinot sur les classiques italiennes, ou disputer les manches de Coupe de France. Ca a été la troisième option, je l’ai respecté et je me dirigeais donc vers un programme avec Paris-Bourges et le Tour de Vendée comme dernières courses avant Les Herbiers.
La veille de Paris-Bourges, Frédéric Guesdon m’appelle pour me parler du parcours de Paris-Tours, nouvellement garni du passage par des chemins de vigne que je connais bien puisqu’ils se trouvent à dix kilomètres de mon domicile. Il voulait avoir des informations et m’a parlé de la reconnaissance du tracé qui était prévue en fin de semaine. Je lui ai dit que j’aurais bien voulu la faire avec les coureurs prévus pour Paris-Tours afin de les aiguiller, même si je n’étais pas convoqué pour la course. Il m’a répondu : “Attends, il y aura peut-être un forfait…” Le lendemain, j’apprends qu’en effet, je vais remplacer Ignatas Konovalovas et que je vais donc enchaîner Paris-Bourges, Tour de Vendée et Paris-Tours. Je ne le cache pas : ça m’a fait énormément plaisir, beaucoup de gens ne comprenaient pas pourquoi je ne terminais pas ma carrière sur la course de ma ville natale et quand je leur répondais que je n’avais pas voulu imposer cela, ils ne comprenaient pas forcément.
Sur Paris-Bourges, la tactique est de tout miser sur Valentin Madouas, et ça fonctionne : pour quelques centimètres, il résiste au retour des sprinteurs et décroche son premier succès professionnel. A cet instant, je savoure le fait d’avoir participé à une victoire à quelques jours seulement de ma fin de carrière, je suis alors loin d’imaginer tout ce qu’il va se passer un peu plus tard. Le samedi, je suis au Tour de Vendée, et après la course je me rends à l’hôtel de mes coéquipiers de Paris-Tours, où j’arrive à environ 21h30. Un peu avant, j’ai un coup de fil de Jussi Veikkanen, qui me parle de l’éventualité d’aller en Italie pour un remplacement sur Milan-Turin afin de permettre de soulager un coureur en vue du Tour de Lombardie. Il me parle de la volonté de l’équipe de pourquoi pas “m’offrir” le cadeau de partager une dernière course avec Thibaut Pinot, mon leader avec lequel j’ai couru près de 400 fois en 9 saisons.
Du sang, des larmes et un billet pour Milan
Au départ de Paris-Tours, je suis un peu stressé. Il y a du vent, il y a ces chemins de vigne qui ajoutent du piment à la course, et il me tient à coeur d’être dans une bonne journée pour ne surtout pas me faire piéger sur le parcours et réussir à rallier l’arrivée. J’arrive dans les vignes au sein du peloton principal et là, je casse ma roue dès le premier chemin. Dans chacun d’eux se trouvait un membre du staff armé de roues de rechange. Je change donc la roue, mais ma chaîne se bloque et je dois tirer violemment dessus. En le faisant mon doigt se coupe sur le plateau, j’ai une entaille et je pisse le sang. Je suis derrière le peloton, je suis énervé, je repars à fond en faisant compression sur la plaie avec mon pouce. J’arrive à peine à tenir le guidon. Ma guidoline rougit, le cadre de mon vélo aussi. Je reviens sur un groupe, j’arrive à rallier l’arrivée à la 58e place, accueilli par ma femme, mes enfants et mes parents. Ouf, le mauvais sort ne m’a pas empêché de finir Paris-Tours !
Une petite larme une fois la pression retombée, et je suis alors attendu au podium car ASO, la Ville de Tours et le Vouvrillon me font l’honneur du protocole. C’est un grand moment pour moi, qui me fait chaud au coeur, car je suis dans ma ville et devant “mon” public. Mais ma journée est loin d’être terminée. Je rentre au bus, je me nettoie la plaie, je célèbre avec tout le monde ce qui doit alors être ma dernière course avant le Chrono des Nations. Nous saluons aussi le départ en retraite de Patrick Gagnier, assistant au sein de l’équipe depuis 1997. J’apprends alors qu’Anthony Roux, au GP Beghelli, a chuté et risque de déclarer forfait pour les courses de la semaine suivante. Je percute alors que je vais très probablement aller en Italie non pas seulement en cas de besoin, car j’envisageais alors d’aller faire un coucou quoi qu’il arrive, mais bel et bien pour courir. Confirmation quelques minutes plus tard quand Jussi Veikkanen m’appelle : “Tu vas très certainement courir mardi, tu prends l’avion demain.”
J’ai juste le temps de passer une nuit chez moi, mais elle sera courte : je dois aller aux urgences pour me faire poser des points de suture à mon doigt ouvert. Je ne serai recousu qu’à 0h30. Durant cette attente, j’échange par messages avec Thibaut pour lui demander comme s’est passé son week-end. Il ne sait pas que Jussi m’a appelé. Nous avons convenu de lui faire la surprise. Lui insiste en me disant qu’il va avoir besoin de moi. Je me sers de ma blessure en lui envoyant une photo de ma main, pour lui dire que ça va être impossible. Il me croit et ne s’attend absolument pas à ce que je débarque en Italie quelques heures plus tard. Le lundi, je pars de Tours pour Paris où j’embarque à Orly direction Milan. Arrivé à l’aéroport, notre responsable des relations presse Elisa Madiot me récupère en voiture et est accompagnée de notre caméraman Nicolas Loth. Je comprendrai plus tard la raison de sa présence, je me dis alors surtout que c’est l’occasion de filmer ma surprise à Thibaut. William Bonnet était au courant de mon arrivée, il a pu faire en sorte qu’une “réunion carré de chocolat” se tienne dans une chambre pour que tout le monde soit réuni quand je débarque. La suite, c’est la scène que vous avez pu voir dans la vidéo.
Un monument pour la route
Le mardi, je repars donc au combat sur les Trois Vallées Varésines. J’ai connu une courte nuit, je n’ai pas de super sensations mais j’arrive à remplir mon rôle pendant 160 kilomètres. Thibaut termine deuxième, seulement battu par Tom Skujins. Le mercredi, c’est Milan-Turin : il aime beaucoup la montée finale de Superga et veut gagner. Du kilomètre 0 au kilomètre 170, je roule en tête de peloton pour contrôler l’échappée. Mes équipiers prennent ensuite le relais et j’abandonne. Je suis dans le bus pour voir l’arrivée à la télévision. J’assiste à la victoire de Thibaut et à la belle démonstration collective de l’équipe, notamment de Sébastien Reichenbach et de David Gaudu. Interviewé après son succès, Thibaut a un mot pour moi. Je suis très touché. C’est censé être ma dernière course en ligne, la fin de ma parenthèse italienne, je suis content de l’issue sportive de la journée. Vivre la victoire de mon leader une dernière fois, c’est top.
Mais au fond de moi, j’ai envie de rester et de disputer le Tour de Lombardie. J’avais pris mes dispositions. En début de semaine, Jussi Veikkanen et Sébastien Joly m’en avaient parlé, alors j’avais prévenu les organisateurs du Trophée Handisport de Montlouis auquel je devais prendre part le samedi, et j’avais même pris avec moi ma combinaison de chrono en cas de nécessité d’aller directement aux Herbiers le dimanche. Thibaut a bougonné quand je lui ai dit que je ne pouvais pas rester pour le Lombardie, je le faisais marcher. En vrai, j’avais tout prévu et je lui ai dit le jeudi : t’inquiètes, je reste. Me voilà donc lancé pour ma quatrième course imprévue en six jours ! Le vendredi, Thibaut et moi répondons à une interview croisée pour La Chaîne L’Equipe. Je vois que mon téléphone n’arrête pas d’envoyer des notifications Twitter. Après l’entretien je constate que l’équipe a publié une vidéo surprise. Je comprends alors pourquoi Nicolas était là à mon arrivée à l’aéroport… Nous allons à table, je n’ai pas mes écouteurs et je préfère attendre d’être en chambre. Thibaut est là, je me cache sous l’oreiller pour visionner. J’ai beaucoup apprécié les propos tenus par mes coéquipiers, j’ai été touché aussi par les messages des supporters. Ca me surprend toujours : je n’ai pas de palmarès, et pourtant les gens sont nombreux à m’adresser des messages de sympathie. Un grand merci à tout le monde !
Le matin du Tour de Lombardie, le départ de l’hôtel se fait tôt, le départ de la course aussi, alors il est de coutume de faire le briefing la veille au soir. L’après-midi, je n’avais pas évoqué la vidéo avec mes coéquipiers, c’est au briefing que j’ai pris la parole pour les remercier chaleureusement. Puis j’ai conclu mon discours en rappelant qu’il y avait une course le lendemain et que l'on était en très bonne position pour réussir quelque chose de grand. Il y avait chez nous de la sérénité, de la motivation. De la force dans le groupe, de la force chez Thibaut. Et une ambiance au top. Tous ces petits ingrédients qui font que ça peut marcher. Parfois ils sont là et ça ne fonctionne pas. Parfois toutes les conditions ne sont pas réunies et ça le fait quand même. Mais là, on sentait, je sentais que quelque chose de magnifique allait se passer.
Des moments magiques que l’on veut faire durer le plus longtemps possible
Au départ de Paris-Tours, j’avais une petite boule au ventre car je voulais absolument finir la course sans encombre. Pour ce Tour de Lombardie, j’étais dans un état différent car je savais que je n’irai pas au bout. Mon rôle était de travailler jusqu’au pied de la Madonna del Ghisallo, 170 kilomètres après le départ. Après cela, j’allais abandonner : je savais donc ce que j’avais à faire. Je me suis vite senti très bien et j’ai été, avec un coureur de Movistar, l’un des deux seuls à faire le tempo en tête de peloton. Mon bon travail a permis d’aider mes coéquipiers à garder de l’énergie pour le final. C’était une bonne journée sur le vélo, pour ma dernière course en ligne. Mission remplie. J’ai regagné le bus à l’arrivée, avec une voiture d’assistants. On a écouté Radio Corsa et on a pu, avec William Bonnet et Matthieu Ladagnous qui nous a ensuite rejoint, se mettre devant la télévision pile pour le Mur de Sormano. Qui a franchi le sommet en tête ? Thibaut !
Et là, c’est parti pour une heure de stress. On n’a pas lâché la télévision avant la bascule au sommet du Monte Olimpino. A cet instant, on sait que ça y est, Thibaut est en passe de remporter le Tour de Lombardie. On sort du bus en courant, on arrive au niveau du parcours via la dérivation des véhicules de directeur sportif. On nous oppose un refus catégorique : impossible de passer. On va un peu plus loin, dans le public, mais il est trop nombreux pour qu’il n’existe ne serait-ce qu’une micro-chance que Thibaut nous aperçoive. On retourne à la dérivation, on dit “Thibaut Pinot, Thibaut Pinot”, on montre le logo sur notre maillot. On arrive finalement à passer, et dans la seconde Thibaut apparaît au bout de la ligne droite. Il nous identifie, il vient de notre côté de la chaussée. La situation est irréelle, exceptionnelle. Nous sommes sur la route, dans le dernier kilomètre d’un monument du cyclisme, notre pote est seul en tête et va gagner avec le plus grand écart sur le deuxième observé depuis 1996. Il a le temps nous taper dans la main. Tout cela le dernier week-end de ma carrière. C’est exceptionnel comme façon de boucler la boucle. Je ne pouvais pas rêver mieux. Je retourne au bus, je me remets devant la télévision, Thibaut me rend une nouvelle fois hommage. C’est trop pour moi…
Habituellement après le Tour de Lombardie, les heures des vols retour arrivent vite, il ne faut pas traîner. Je suis d’autant plus concerné que le lendemain, j’ai le Chrono des Nations. Mais on décide de rester et de l’attendre. Ca dure 1h30 ! 1h30 à patienter jusqu’à ce que Thibaut ne nous retrouve au bus. On sait tous que l’on va rater notre avion, notre directeur sportif nous a de toute façon dit que l’on trouverait une solution… Est ainsi venu le moment de célébrer tous ensemble ce succès remarquable. Vous avez pu voir sur les réseaux sociaux les photos de cet instant magique. C’était un grand moment pour moi, il est important de les vivre à fond et de les faire durer. On a négocié avec le chauffeur de notre bus pour changer les plans : on a trouvé un vol pour le dimanche matin à Genève, on a fait cinq heures de route en s’arrêtant dîner tous ensemble. Il a fallu faire 3 ou 4 restaurants avant d’être acceptés quelque part. C’était une pizzeria familiale. Le gérant a vu que l’on était français, il nous a parlé de la victoire de Thibaut… sans même se rendre compte que nous étions son équipe et qu’il était à sa table !
Cette fois-ci, c’est vraiment fini
Couché 2h, levé 5h45… Je repars avec William Bonnet, j’arrive à Orly après une micro-sieste dans l’avion. Mon entraîneur Julien Pinot m’attend à l’aéroport. On part aux Herbiers en voiture. Julien n’était pas là en Italie, il voulait absolument être là le dimanche. Marc et Yvon Madiot, mais aussi Thierry Bricaud avaient aussi fait le déplacement. J’arrive à 12h30 sur le lieu de départ du contre-la-montre pour un départ à 15h19. Je retrouve alors ma femme, mes enfants, mes parents, mes beaux-parents et des amis venus spécialement pour ce Chrono des Nations. Je suis ému, touché, mais aussi fatigué. Je finis pourtant septième, devant Vincenzo Nibali. Peu importe : mes proches et moi-même ont pu profiter pleinement de cette “vraie” dernière course de ma carrière. Exceptionnellement, l’organisation a permis à deux voitures de me suivre pendant le contre-la-montre, permettant à tout le monde de vivre cette ultime heure aux premières loges. Une fois la ligne d’arrivée franchie, les supporters viennent me voir pour demander un bidon. Je n’ai pas trop pris le temps de rester, je m’en excuse : je ne pouvais pas retenir mes larmes et j’avais besoin de me poser.
Les organisateurs m’avaient réservé une surprise : ils avaient contacté ma femme pour en savoir plus sur mes passions. Elle avait répondu que j’aimais cuisiner, alors ils m’ont offert une veste et une toque de chef à mon nom. J’ai beaucoup aimé l’idée et je les remercie. On a fêté tout cela tous ensemble, je suis rentré à la maison en début de soirée et je vais à présent me reposer tout en préparant le jubilé ! Atterrissage en douceur : je suis sur mon petit nuage depuis quelques temps, la réalité me rattrapera bientôt mais avant cela, ce sera avec un immense plaisir que je retrouverai tout le monde samedi prochain !
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