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Lettre ouverte de Jérémy Roy :

« Suite aux récents événements dans le monde du cyclisme, aux réactions et déclarations de certains coureurs,  aux différents mouvements lancés pour sauver le cyclisme et pour répondre à certaines personnes,  je tiens à m’exprimer aujourd’hui par cette lettre ouverte.

Bien sûr je ne dirai pas que le cyclisme roule dans le meilleur des mondes, mais il faut arrêter de stigmatiser et de jeter la pierre à tous les cyclistes. Oui, il y a des tricheurs, il y en aura toujours (dans le sport ou dans la vie) mais l’étau se resserre petit à petit grâce au travail de l’UCI, de l’AMA (et des ses antennes nationales) et de la police. Aujourd’hui tout le monde se lâche sur l’affaire Armstrong (qui n’a pas fini d’éclaircir certaines zones d’ombre sur des transferts de fonds), demain j’espère que l’affaire Padoue (Italie) aboutira et que l’affaire Puerto (Espagne) qui doit réouvrir en janvier dévoilera aussi ses secrets. J’ai découvert comme vous tous le rapport de l’USADA, et oui j’ai été choqué de ce système quasi collectif de dopage et Non toutes les équipes et fort heureusement ne fonctionnent pas comme cela. Je ne fais pas de la langue de bois, ni d’omerta comme me diraient certains journalistes qui me reprochent le fait que je découvre l’histoire comme Monsieur tout le monde seulement à travers les médias. Je suis passé professionnel en fin d’année 2003 et ce n’est pas parce que je côtoie un quart de l’année (90j de course)  d’autres coureurs que je  sais ce qu’ils font à l’abri des regards.  Et même si je parle de temps à autre à d’autres coureurs, croyez vous que les tricheurs  vont se venter de leurs prouesses chimiques ? Les derniers aveux (qui au passage ont été lâchés seulement grâce à l’enquête et donc sous serment … ) en attestent ; pas même leur femme ou leur famille n’était au courant (je pense que tu partages plus ton intimité avec tes proches qu’avec des coureurs-collègues ou adversaires). Il est trop facile aujourd’hui de demander pardon, pour laver sa conscience. Non je ne les excuses pas. Ils ont volé (résultats, gloire, argent, contrats…). Mais d’un autre côté je leur dirai quand même merci d’avoir avoué si cela peut contribuer à enrayer le fléau en prenant acte de leur fonctionnement et en tentant de trouver une solution. En parlant de solution, il faut savoir que l’UCI a quand même mis en place des outils, certes pas parfaits, mais qui ont le mérite d’exister. Le contraignant Whereabouts : système de localisation où le coureur du groupe cible (équipes World Tour, Continentale Pro postulant aux WildCards et certains coureurs désignés par un groupe d’expert) doit fournir au quotidien ses activités et un lieu de résidence avec un créneau d’une heure où un contrôle peut être réalisé.  (Contrôle qui peut aussi être réalisé en dehors de la plage horaire mais qui ne fera pas office d’un no-show si le coureur n’est pas présent).La mise en place du passeport biologique, enfin hématologique pour le moment car la partie stéroïdienne n’est pas encore prise en compte. Ce profilage de valeurs hématologiques permet en parallèle d’un contrôle antidopage classique de cibler certains coureurs suspects, de suspendre et de sanctionner un coureur  le cas échéant ; après réunion d’une commission d’expert.  Il y a eu quelques coureurs suspendus par le passeport mais des contraintes juridiques limitent fortement l’action de l’UCI. Depuis juin 2011 (non rétroactif malheureusement), les  personnes reconnues coupables d’avoir violé le code antidopage ne peuvent occuper un poste de manager, directeur sportif, entraîneur, médecin ou assistant  paramédical, mécanicien, chauffeur, agent de coureurs. Cette disposition permettra d’assainir progressivement le milieu. Même si j’encourage les équipes à appliquer sans délai cette règle. En proposition, outre l’augmentation de la durée des sanctions, je ne peux qu’appuyer la recherche antidopage pour améliorer les tests encore et encore. Trop souvent les tricheurs ont un coup d’avance. Le problème qui se pose en sus du coût de la recherche, est le volume de l’échantillon qui n\’est pas infini… il faut bien savoir que toutes les substances connues ne peuvent pas être testées sur l’échantillon, il faut faire des choix (on peut seulement trouver ce que l’on recherche !).  C’est ainsi que certains passent à travers un contrôle, …un jour, mais pas forcément un autre jour. Il a été évoqué la conservation de l’échantillon B pour des tests ultérieurs quand la recherche aura progressé mais je ne sais pas où cela en est. Cela a encore un coût ; stockage, analyse, quel test appliquer ?Le problème économique est donc bien présent dans la lutte antidopage. Une part des « prize money » est déjà prélevée, que faire de plus. Comme l’avait suggéré le Président de la Française des Jeux, Mr Blanchard Dignac (dès 2009) ; une association des sponsors d’équipe cycliste doit  être créée pour soutenir l’UCI dans sa lutte antidopage. En théorie une année de salaire doit être payée par le fautif. J’espère que ces fonds sont bien destinés à la lutte antidopage. Il serait souhaitable aussi que l’AMA revienne sur ses pas avec l’utilisation « libéralisée » des Corticoïdes. Un arrêt de travail devrait être obligatoire en cas d’utilisation de cette substance, cela pour éviter tout risque avec la santé du coureur (risque de chute de cortisolémie). Seules les équipes du MPCC (Mouvement Pour un Cyclisme Crédible) appliquent en interne l’arrêt de travail en cas d’infiltration pour traiter une pathologie. Le profil de puissance personnalisé (PPP), proposé notamment par F.Grappe, qui à l’instar du profil hématologique permettrait de connaitre les limites physiques d’un coureur. Se pose ensuite le problème de la fiabilité de la mesure, la prise en compte de la fatigue et de la répétition des efforts au cours d’une étape, la marge d’erreur (il n’est pas interdit de battre ses records.. c’est même le but de l’entrainement). Développer le passeport biologique avec l’activation du profil stéroïdien. Je rejoins également Taylor Phinney sur sa prise de position contre les antidouleurs que certains coureurs prennent en course. Quand il y a un problème à traiter avec un antidouleur je doute que la pratique du cyclisme en compétition puisse le régler !La tenue « d’états généraux » en réunissant l’AMA et l’UCI permettrait aussi d’avancer. La création d’une commission indépendante de l’UCI  pour l’organisation des contrôles apparait comme une nécessité pour recrédibiliser l’UCI : on ne pourra plus lui reprocher d’être juge et partie. Enfin, la police et les douanes voir les renseignements généraux  doivent continuer à nous aider dans la lutte (lutte antidopage, trafic, transferts de fonds douteux (corruption),…). Bon nombre d’affaires ont pu éclater grâce à eux. Malgré les tempêtes traversées et les coups reçus, je crois et je veux croire encore au sport que j’aime.  J’ai accepté le fait d’être moins fort que les autres mais cela ne m’empêche pas d’avoir quelques bons résultats avec mes moyens et de gagner des courses. Certes je n’arriverai certainement pas à gagner le Tour de France, ni les Championnats du monde avec mes capacités mais j’ai toujours l’espoir qui est en moi, l’espoir de progresser, de donner le meilleur de moi-même et de ne pas avoir de regrets car j’aurai tout mis en œuvre pour y arriver. J’ai consenti tellement de sacrifices, et ma famille aussi avec une absence cumulée de 180 jours par an que je ne veux pas baisser les bras maintenant. Ce serait une défaite (de plus)  face aux tricheurs. Je souhaitais écrire cette lettre ouverte depuis quelques temps, mais je n’avais pas envie de passer pour une pleureuse, ni de recevoir les critiques habituelles (pas de résultats car ne sait pas s’entrainer, trop gros, langue de bois, vit chez les Bisounours…)Pour ceux qui veulent taper encore sur le vélo, passez votre route … moi je veux y croire encore, cela fait presque 10 ans que je suis chez les pros et 10ans que j’entends au briefing de début d’année : « les gars ne perdez pas espoir, la roue tourne, les tricheurs se font attraper tôt ou tard, on va dans le bon sens ».  Ma progression et l’avènement de jeunes coureurs ne sont sans doute pas dus au simple hasard. Depuis la mise en place de la géolocalisation et du passeport, le champ de manœuvre se réduit. Enfin un petit coup de gueule pour finir car j’en ai assez de voir certains médias ne parler de cyclisme qu’à travers des affaires de dopage. Je suis désolé aussi chers journalistes et spectateurs que sur des étapes de plats de début de Tour vous vous ennuyez (et vous le faites savoir) … oui il y a des étapes pour les sprinters et il y en aura toujours ; où est le mal à s’économiser un peu en vue des 3 semaines de course. Il faut arrêter de jouer à CyclingManager ! Pour ceux qui s’effarent des vitesses moyennes … (et qui râlent aussi quand le peloton flâne un peu,… oui oui ceux sont les mêmes personnes) ont-ils déjà fait du vélo en compétition ? En groupe ? Effet d’aspiration et relais çà parle ? Il n’y a pas et il ne faut pas comparer les courses ou les époques, tellement de facteurs peuvent influencer une performance (météo, vent, état de la chaussée, profil des étapes précédentes, …). Nous sommes cyclistes professionnels, notre métier c’est d’être le plus rapide sur un vélo et nous nous entrainons  tous les jours pour cela, alors ne comparez pas votre sortie du dimanche et la côte du bourg avec une course professionnelle. Je ne suis pas le seul à penser ainsi, beaucoup de coureurs souffrent en silence de ce mal sournois qui ronge de l’intérieur et d’être assimilé au « système ». Certains n’osent même plus dire qu’ils sont coureurs cyclistes, tout cela à cause des errements de certains coureurs. Et je l’affirme la plupart du peloton travaille honnêtement. Je pourrai développer encore certains points et aborder d’autres sujets tout aussi importants pour le futur du cyclisme (développement durable, modernisation du cyclisme, formats de courses, …) mais j’ai peur de vous perdre en route (si ce n’est déjà fait).

Merci de m’avoir lu et merci pour votre soutien. Le cyclisme a aussi besoin de vous. »