Cette échappée solitaire, c’est sur cette fameuse étape de Lourdes, la treizième de ce Tour de France. Échappé la veille lors de la précédente arrivée dans les Pyrénées, j'ai pu passer en tête du Tourmalet avant de me faire reprendre dans la montée finale de Luz Ardiden. Beaucoup de forces dépensées et de fatigue accumulée. Il est donc prévu que je reste au chaud dans le peloton à essayer de m'économiser sur cette courte étape. Je suis les consignes, reste au fond de la classe. Ça roule très vite : les attaques se succèdent mais personne n'arrive à faire le break, si bien qu'au bout d'une heure à bloc, il n’y a toujours pas d'échappée. Me voilà en train de remonter tranquillement vers la tête de peloton et de me motiver pour aller dans les coups. Et finalement, avec la fatigue de ceux qui n'ont pas arrêté depuis le début de la journée, j'arrive quasiment du premier coup à prendre le bon coup, avec quatorze autres coureurs. Il y a là un gros client pour le seul col de la journée, l'Aubisque : David Moncoutié. Mais au pied du col, c’est Thor Hushovd qui surprend tout le monde en attaquant et prenant les devants. Tout le monde court sur Moncoutié et même Marc Madiot me dit d'attendre et de le suivre. Cependant je sais au fond de moi que je ne pourrai pas le suivre en montagne, alors je désobéis pour essayer de partir avant et j'y parviens. Je rattrape Thor Hushovd et le distance. Derrière, Moncoutié arrive à ses fins et lâche le reste de l'échappée. C'est donc un duel à distance qui s'opère. Je suis transcendé par le public, j'ouvre la route du Tour sur une grande étape de montagne, les spectateurs s'écartent au dernier moment et je sens que c'est la chance de ma vie. Je fais attention quand même, avec mon capteur de puissance, à ne pas me mettre trop dans le rouge. Je passe en tête au sommet de l'Aubisque et je sais que je revêtirai le maillot à pois de la montagne le soir. Mais je reste concentré sur l'objectif : l'étape.
J'attaque donc la descente et la vallée... avec le vent de face. Je regrette de ne pas avoir eu de moto ouvreuse dans la descente pour que je puisse mieux appréhender les virages. Je n'ai pas trop d'infos sur les écarts et j'apprends à dix bornes de l'arrivée que c'est finalement un duo qui est à ma poursuite : Hushovd est revenu sur Moncoutié... Je n'ai alors que trente secondes d'avance. Je sens que je commence à coincer et j’oublie de m'alimenter dans cette euphorie générale. Malgré toute ma bonne volonté, je me fais reprendre dans les deux derniers kilomètres. Cruelle déception, mais je n'ai quasiment rien à regretter. Je retiens aussi la fabuleuse ovation du public quand j'ai reçu le prix du combatif du jour et le maillot à pois. J'en ai encore des frissons.
A Paris, pour couronner le tout, j'ai été élu super combatif de cette édition 2011. Titre honorifique qui me convient car il récompense mes offensives et mon esprit d'attaquant. Ma philosophie de course, en somme.
Pour en savoir plus, lire mes chroniques dans L'Equipe :
#6 : Flashés et en garde à vue
#17 : L'ingénieur ne calcule pas