Les coureurs dans les descentes, les voitures suiveuses un peu partout : plus qu'ailleurs, la prise de risques est immense sur le Tour de France.
Cela fait quatre ans que je partage ma chambre avec Sandy Casar sur le Tour de France et il me surprend toujours. Dans l'équipe, on le chambre souvent car il a tendance à bougonner, à dire qu'il n'a pas de très bonnes jambes, et de se retrouver à l'avant de la course dix minutes plus tard. Et ça l'agace parce que c'est son côté éternel insatisfait et exigeant. Depuis quelques jours, il faisait la moue mais il parlait de plus en plus de ces étapes dans le Massif Central qui lui convenaient. C'est là sa grande qualité : quand il s'est fixé quelque chose en tête, il parvient souvent à ses fins. Il voulait l'échappée du jour, il l'a eue. Il était au premier rang dès le défilé, il est parti dans tous les coups possibles jusqu'à ce que ça sorte « à la pédale » dans le premier col. Quand le peloton a basculé au sommet, je l'ai vu au loin et j'ai reconnu autour de lui des garçons comme Voeckler et Flecha. Je savais qu'il était bien accompagné. Malheureusement, il s'est retrouvé à sec dans le final et est revenu en bougonnant au bus. Mais je sais qu'il saura repartir de l'avant au bon moment et qu'il parviendra à ses fins. Sans ronchonner.
Pourtant, je n'ai pas vraiment cru à ses chances et à celles de l'échappée quand j'ai vu les Garmin et les Lotto lancer la poursuite pour contrôler l'écart. Avec un Hushovd qui veut son maillot et un Gilbert qui veut son étape, les voeux des attaquants restent souvent pieux. Mais le peloton a voulu jouer avec le feu en dosant l'effort dans les montées et en accélérant dans les descentes. Pas forcément pertinent quand la route est mouillée à certains endroits de façon aléatoire. C'est ce qui peut expliquer la chute collective qui a éventré les premiers rangs du groupe, au milieu des leaders et des coureurs d'Omega Pharma. C'était un virage glissant qui se refermait sans panneau de signalisation... Plutôt prudent sur chaussée mouillée, j'avais déjà perdu un bon paquet de places quand je suis arrivé dans un amas de vélos désossés, de coureurs sonnés et éjectés dans le fossé. Je me suis arrêté pour traverser le chaos à pied. Quand je suis remonté sur le vélo, mes ardeurs étaient bien calmées. Partout dans le peloton, les coureurs ont eu besoin de quelques kilomètres pour reprendre leurs esprits.
Il est encore plus difficile de réaliser de se qui s'est passé pour Juan Antonio Flecha et Johnny Hoogerland. Moi qui ai connu déjà trois échappées cette année, j'ai assisté depuis le premier rang au ballet incessant des voitures d'invités qui nous doublent, s'arrêtent pour nous regarder passer, et nous redoublent encore et encore... De quoi se faire parfois de belles frayeurs. Il ne faut pas penser qu'on est plus tranquilles à l'arrière de la course : quand on va chercher des bidons, on se retrouve à zigzaguer entre des voitures et des motos dont on ne voit pas trop l'utilité sauf si on a l'amour du risque.